Registres de représentations sémiotiques

En reprenant l'exemple du dernier paragraphe, différentes représentations du nombre 1 peuvent être construites, et en paraphrasant Magritte :

1 est différent de un
Image MagrittePipe

qqqqffrgb0,0,1


1       zzttqqrgb0.6,0.2,0 ttttffrgb0.2,0.2,1

  One   I  


  $\{\emptyset\}$    
  Y$\overline{i}$   Image yi s(0)

Dans ces représentations, certaines relèvent de la langue naturelle (un, one, Y$\overline{i}$), d'autres sont graphiques 2.31, d'autres symboliques et d'autres, enfin, constructives comme s(0) représentant le successeur de 0 dans l'axiomatique de Péano et $\{\emptyset\}$ représentant l'ensemble dont le seul élément est l'ensemble vide, dont le cardinal est 1.

Les nombres naturels sont certainement un des objets mathématiques les plus élémentaires au sens où toutes les mathématiques dans toutes les civilisations ont un système de numération permettant au moins de décrire sinon les nombres naturels du moins des nombres naturels.

Cependant, la lecture de  grands  nombres montre bien ce nécessaire passage par une représentation ; par exemple :


\begin{displaymath}123 456 789 098 765 432\end{displaymath}

Sans rentrer dans les détails, la lecture d'un tel nombre n'est pas stabilisée et deux systèmes de description perdurent : le système court (que l'on appelle aussi règle latine, ou $n$-1) et qui est officielle en Europe et le système long (ou règle $N$ dont une description se retrouve dans Triparty en la science des nombres en 1484 par maistre Nicolas Chuquet (bachelier en médecine)) qui est officiel, notamment aux États-Unis :

Nombre Echelle longue Nombre Echelle courte
$10^6$ Million $10^{3 \times 2}$ Million
$10^9$ Milliard $10^{3\times3}$ Billion (Milliard)
$10^{12}=10^{6\times 2}$ Billion $10^{3\times 4}$ Trillion
$10^{6\times N}$ $N$-illon $10^{3\times n}$ $n-1$-illon


Cet exemple montre le lien qui peut exister entre les objets mathématiques (ici les nombres naturels) et leurs systèmes de représentations (ici la lecture orale des nombres).

On pourrait de la même façon s'intéresser aux modes d'écritures des nombres ; par exemple, la base 60 utilisée dans les mathématiques babyloniennes, comme les nombres représentés sur la tablette ybc7289, figure tablette.

Figure: Tablette mésopotamienne, 2500 av-JC
Image ybc7289-2

Mais aussi d'une façon plus moderne, la représentation en machine d'un nombre entier reprend l'idée babylonienne des grandes bases. C'est la structure des mémoires des ordinateurs qui va déterminer la base utilisée. Ainsi, pour une machine 16 bits, les nombres jusqu'à $2^{16}-1$ peuvent être codés, mais en choisissant une représentation en base $2^{15}$, un nombre à deux chiffres dans cette base représentera un nombre compris entre 0 et $2^{15}-1+2^{15}\times\left(2^{15}-1\right)$ soit $1073741823$ en base 10. Avec trois chiffres, on atteint 35183298379775.

Cet exemple des nombres naturels montre bien la différence entre l'objet mathématique (le nombre) et ses représentations. Dire qu'un nombre possède une propriété peut s'entendre d'une part comme :

Les objets mathématiques que l'on manipule ont des représentations diverses et le travail du mathématicien ne se fait non pas sur les objets mais sur leurs représentations. L'objet mathématique pouvant alors se comprendre comme la classe d'équivalence de toutes ses représentations. Comprendre un objet mathématique c'est donc appréhender ses représentations et les relations existantes entre ces représentations, ce que les concepts de registres de représentation sémiotique formalisent.

La sémiotique est la  théorie générale des signes dans toutes leurs formes et dans toutes leurs manifestations; théorie générale des représentations, des systèmes signifiants 2.32.

Des représentations sémiotiques sont des productions constituées de signes appartenant à un système de représentation qui a ses propres contraintes de signifiance et de fonctionnement. [page 234]Duval1991

La sémantique est la relation entre les signes et ce qu'ils signifient (relations internes entre signifiant et signifié ou relations externes entre le signe global et le référent)

La syntaxe est la relation entre les signes.

Le système de représentation est sémiotique lorsqu'il permet de faire fonctionner trois types d'activités :

On parle de registre de représentation sémiotique pour désigner un langage permettant de représenter un objet et des relations de cet objet et de son environnement. Dans l'enseignement, un registre sémiotique peut être considéré comme un système de signes permettant d'exercer, chez un élève les activités cognitives fondamentales :

Les travaux (notamment Duval) montrent que pour qu'une représentation donne à l'élève accès à l'objet qu'elle représente, il faut au moins qu'il dispose de plusieurs systèmes sémiotiques différents et qu'il puisse convertir d'un registre à l'autre.

(...) d'une part, l'appréhension des objets mathématiques ne peut être qu'une appréhension conceptuelle et, d'autre part, c'est seulement par le moyen de représentations sémiotiques qu'une activité sur des objets mathématiques est possible. Ce paradoxe peut constituer un véritable cercle pour l'apprentissage. Comment des sujets en phase d'apprentissage pourraient-ils ne pas confondre les objets mathématiques avec leurs représentations sémiotiques s'ils ne peuvent avoir affaire qu'aux seules représentations sémiotiques ? L'impossibilité d'un accès direct aux objets mathématiques, en dehors de toute représentation sémiotique, rend la confusion presque inévitable. Et, à l'inverse, comment peuvent-ils acquérir la maîtrise des traitements mathématiques nécessairement liés aux représentations sémiotiques, s'ils n'ont pas déjà une appréhension conceptuelle des objets représentés? Ce paradoxe est d'autant plus fort que l'on identifie activité mathématique et activité conceptuelle et que l'on considère les représentations sémiotiques comme secondaires ou extrinsèques. [page 38]Duval1993b

Gilles 2012-03-05