Document numérique

Un mot est toujours la composition d'un son et d'un concept et l'étude de l'origine des mots renseignent sur la signification actuelle (ou celle qu'on veut leur donner) en s'appuyant sur cette histoire. Ainsi, ressource qui vient du latin resurgo, se relever, se ranimer, reprendre sa force, sa puissance2.27, apparaît dans le dictionnaire Godefroy1881 avec comme premier sens, relèvement, moyen de se relever. La signification est proche de celle donnée par [page 25]Adler2010 :  Il est possible aussi de penser les ressources comme une forme du verbe re-sourcer : nourrir à nouveau, ou différemment .

Document, du latin documentum construit sur le verbe docere2.28, enseigner, porte en lui sa fonction de medium d'enseignement. Godefroy1881 parle lui de  la pièce écrite, relation, titre, etc. qui sert à éclairer et à certifier au sujet de faits historiques, judiciaires, etc .

Dans l'approche documentaire, le développement d'un document est un processus dans lequel, à un moment donné, une ressource associée à un schème d'utilisation de cette ressource devient un document. Ce document considéré à la fois comme objet de travail et outil pour l'action évolue dans le temps, un document donne des ressources qui pourront alors nourrir la genèse documentaire.

J'emploie dans ce paragraphe le terme de  document   dans les sens employés par le collectif de chercheurs Roger T. Pédauque2.29. [page 3]Pedauque2003 reprend le classement par analogie avec la trilogie logique (ou linguistique) de syntaxe, sémantique et pragmatique en distinguant :

  1. le document comme forme, objet matériel ou immatériel possédant une structure,
  2. le document comme signe, porteur de sens et doté d'une intentionnalité dans un contexte donné,
  3. et le document comme medium, élément d'un système identitaire et trace d'une communication.

Dans chacune de ces entrées, Pedauque2003 propose à partir d'une interprétation de l'évolution du document vers le document numérique des définitions du terme document et du document numérique comme support + inscription vers données structurées + mise en forme, de inscription + sens vers texte informé + ontologies et de inscription + légitimité vers publication + accès repéré.

Pedauque2006 montre par ailleurs que les transformations apportées par le numérique aux fonctions et aux dimensions documentaires s'appuient sur les processus documentaires existants en étendent leurs fonctions et sont dépendantes des changements sociaux. Ces démonstrations sont construites sur les propriétés des documents :

Nous proposons donc de regrouper les fonctionnalités d'un document en quatre propriétés : mémorisation, organisation, création et transmission. [page 5]Pedauque2006b

Les deux premières propriétés, à dimension cognitive de mémorisation et d'organisation des idées apparaissent comme des éléments importants de la dimension médiatique des documents. La propriété de mémorisation joue un rôle de prolongement des capacités humaines en proposant des compensations mémorielles. L'organisation des données devient alors nécessaire dès que ces dernières deviennent assez importantes pour que ce prolongement nécessite une organisation interne, individuelle ou collective. On peut penser ici au héros du Théorème du perroquet Guedj1998 qui essaye de mettre de l'ordre dans la bibliothèque mathématique dont il a hérité ; sans connaître des mathématiques autre chose que les mathématiques scolaires, l'ordre alphabétique n'est pas relier au sens, la chronologie brise les évolutions des idées, le système de rangement en grandes catégories (probabilités, algèbre, arithmétique, analyse, mécanique, géométrie) devient inopérante pour classer, par exemple The arithmetic of Elliptic curves Silverman1986, etc. Le classement varie suivant les points de vue adoptés, marque les représentations sociales et modifie les schèmes d'utilisation dans un processus d'instrumentation. Il implique une représentation des éléments dans un ensemble constitué et entraîne donc une indexation, une façon de s'y retrouver. De ce fait, la création d'un document implique aussi la prise de conscience du lecteur potentiel de ce document. Un document ne prend du sens que s'il est interprété par un destinataire qui, d'une certaine façon recrée le document dans le processus d'instrumentalisation. Les deux relations du document au monde naturel, l'interprétation et au monde documentaire, le classement participent de l'évolution d'une ressource en un document dans le sens pris par ce terme dans le paragraphe précédent.

Les deux propriétés mnésique et organisationnelle se construisent conjointement et participent à la genèse documentaire.

La troisième propriété, de créativité est lié au domaine d'intérêt du document et consi-dère les singularités propres d'une \oeuvre tant d'un point de vue syntaxique que sémantique. Cette propriété est liée au contexte sémiotique et exprime les relations entre les objets manipulés et leurs différentes représentations.

La propriété de transmissibilité représente la possibilité que les propriétés présentées plus haut se diffusent dans un environnement social donné. Elle repose sur les possibilités de partager, de s'approprier et de modifier le document.

Ces propriétés de mémorisation, d'organisation, de création et de transmission peuvent être utilisées dans différents domaines de médiation :

En croisant les propriétés et les domaines de médiation, on obtient une grille d'analyse de la position de la ressource (au sens de Gueudet2008d dans l'ensemble des ressources des acteurs considérés :

Crossing the functions ans the domains of mediation gives a two-dimensional grid allowing analysis of the position of the HHT2.30 in the set of resources of the different actors, in our case, students and teachers. [page 735]Aldon2010

En particulier, le contexte de l'utilisation de la calculatrice TI-Nspire montre bien ces quatre dimensions présentes dans cette  ressource , et les phénomènes de genèse documentaire s'appuient sur ces propriétés dans des contextes de médiation différents. En effet, les propriétés cognitives de mémorisation et d'organisation des idées se construisent  en parallèle  et demeurent dans un domaine privé tant du point de vue des professeurs que des élèves. Les propriétés de  création  et de communication sont quant à elles construites en partie dans le domaine collectif.

Suivre la genèse documentaire  conjointe   des professeurs et des élèves demande donc de pénétrer dans le domaine privé et de comprendre pourquoi ce domaine demeure privé.

Mes questions portent également sur la place de la genèse instrumentale dans la genèse documentaire. Autrement dit, en me plaçant sur le terrain d'étude des calculatrices complexes, la calculatrice est à la fois un artefact tendant à devenir un instrument dans un cadre de représentation et de calcul mais aussi une ressource tendant à contenir un ensemble de documents numériques susceptibles de faire partie du système de ressources, en évolution, des professeurs et des élèves. Étudier cet artefact et son utilisation dans un contexte didactique impose de considérer toutes les dimensions et leurs effets dans les contextes de médiation.

Gilles 2012-03-05