Suite de l'observation

La deuxième partie de l'observation concerne dans un premier temps une phase d'institutionnalisation des travaux des différents groupes et d'une nouvelle phase de recherche.

Dans la première phase le professeur amène progressivement les élèves à remarquer dans leurs comptes rendus les éléments essentiels sur lesquels il veut faire porter l'institutionnalisation : définir une suite de façon fonctionnelle et définir une suite par récurrence.

Par ailleurs, le professeur souhaite amener une réflexion concernant la non unicité de la solution ; ce qui ne soulève que peu d'intérêt de la part des élèves pour les cinq premières suites ; malgré ses efforts, les élèves ne prennent pas en compte ces questions et répondent par un silence profond aux questions du type :  Est-ce qu'il y en a qui ont trouvé une autre façon pour avoir ce résultat ? . L'incident de contrat est géré par le professeur par une insistance à reposer la question pour chaque suite, ou en proposant d'autres solutions :  Sept cent vingt neuf, excusez moi, ou il y avait d'autres propositions ? Non. Moi, j'ai envie que ce soit sept cent quarante neuf, après tout ! Ou bien moi, j'ai décidé qu'à partir du cinquième terme on rajoute aussi deux ! . Je fais l'hypothèse que la difficulté de modification du contrat repose sur des conceptions fortement ancrées de ce que sont les mathématiques et en particulier de la notion de vérité portée dans un jugement analytique alors qu'elle devrait l'être dans un jugement synthétique (Cf. paragraphe objets). Cette distinction est très nette dans le dialogue qui se noue à propos de la dernière suite :

E : Treize !

E' : Quatorze !

P : Treize, quatorze, allez, on va faire nos prix !

E'' : Quinze !

P : D'autres propositions ? Tu disais, C ?

C : On peut pas savoir.

P : On peut pas savoir. Alors, ça veut dire quoi, on peut pas savoir ? Brouhaha. Attendez, pas tous à la fois ! Oui ?

E : On n'a pas assez de renseignements !

P : Alors pourquoi, les autres fois, on était, on avait, d'après vous on avait assez d'information ?

E : Elles étaient linéaires.

P : Tu dis, elles étaient...

E : Linéaires.

P : Linéaires ?

E' : Là, ch'ais pas au départ y'a deux d'écart, après ça...

E'' : Toujours la même chose.

E''' : Constant.

P : C'est toujours la même chose, c'est constant,...  Oui ?

E'''' : Y'avait une suite logique dans les autres.

P : Et la alors, pourquoi on est sûr qu'il n'y a pas de suite logique ?

E : On n'est pas sûr ! on n'a pas assez de données.

Le professeur peut alors institutionnaliser ce phénomène :  P : Voilà ! Alors, ce que l'on peut dire c'est que dans les autres il y avait une formulation, une possibilité assez évidente que vous avez retenue, et ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas d'autres, et là il n'y en a pas d'évidente ce qui explique qu'il y a plusieurs possibilités. .

La définition de la suite des nombres premiers est cependant largement plébiscitée dans la classe ; l'objet  suite F   a une réalité en-soi et ne semble pas pouvoir être soumis à l'expérience, ou, en tout cas, si une expérience a lieu (c'est la proposition de ce groupe d'élèves qui considère les écarts entre les nombres et crée une règle de construction), elle porte non pas sur l'objet en-soi mais sur une interprétation de l'objet au sens donné en musique au terme interprétation, c'est-à-dire une création à partir de l'\oeuvre originale.

La nouvelle phase de recherche est présentée par le professeur avec la consigne de représenter graphiquement les différentes suites. Il reste vingt cinq minutes dans l'heure et l'heure suivante doit être consacrée à un contrôle, ce qui explique les incidents extérieurs nombreux qui perturbent la dynamique de recherche dans cette courte phase. Cependant, dans les épisodes de recherche, les élèves reviennent sur les deux suites qui avaient été l'objet de leurs précédentes recherches : la suite D : 1, 3, 6, 10, 15,... et la suite F : 2, 3, 5, 7, 11,...

G1 : Pour la D, ils ont dit quoi, pour la D ?

F2 : La D ? Ben ça dépendait !

De l'institutionnalisation précédente, F2 a bien retenu la non unicité des réponses, mais sa réponse crée un incident de frottement : G1 souhaite retrouver la construction laissée et la confronter aux résultats proposés dans la classe, et F2 semble se réfugier dans un relativisme considérant toutes les réponses comme possibles. Un incident extérieur (l'absence de piles) provoque immédiatement une perturbation dans laquelle F1, F2, et G2 sont embarqués. G1 revient au problème, F2 répond rapidement avant de se laisser entraîner dans la perturbation. Il faut attendre encore quelques minutes pour que les quatre protagonistes reviennent au problème :

F1 : C'est quoi ?

G1 : C'est pour voir la formule du D !

F2 : Le D c'était...

G2 : Ca peut être ça, hein ?

F2 : Non, le D !

G2 : Le D c'est quoi ? Oui, mais on sait tous ce que c'est !

F2 : Pardon ?

G2 : On sait tous ce que c'est, mais après, euh...

F2 : Faut calculer pour l'avoir.

G2 : Calculer, pfouuu ! La méthode, ça sera plus,... pour la millième, ça sera plus, mille, pour obtenir le résultat,...

Les élèves essayent de reprendre les méthodes utilisées :  F1 : je crois que je l'ai fait . Mais un incident extérieur rompt de nouveau la dynamique : G1 interroge le professeur sur la formule de la distance en vue du prochain contrôle. Après la réponse du professeur, la dynamique de recherche est brisée et G1 et G2 sont déconnectés de la situation pendant cinq minutes. F1 et F2 quant à elles ont investi une situation nil didactique et utilisent la calculatrice pour calculer les termes de la suite D de proche en proche. F1 remarque :  F1 : Mais, faut pas faire ça ! . La réponse de F2 montre bien sa conscience d'investir une situation nil didactique qui lui permet de répondre à un contrat d'action dans la classe de mathématiques :  F2 : C'est pas grave ! . Elle reproche un peu plus tard à G2 sa passivité :  Tu fais quoi G2 ? [...] Tu fais rien depuis tout à l'heure ! .

Les incidents syntaxiques apparaissent dès que les élèves souhaitent accélérer leur méthode de calcul, visiblement inadaptée pour atteindre la millième valeur de la suite :  F1 : Jusqu'à mille, oui mais on s'en fout. Faut trouver un moyen de calcul rapide; . La syntaxe de la calculatrice n'est pas suffisamment naturalisée pour permettre la traduction dans ce registre de la somme des mille premier nombres entiers.

Pendant ce temps, G2 finit par représenter, à partir du tableur la suite A. La discussion qui suit porte sur les représentations des suites B et C, discussion interrompue par la fin de la séance.

Gilles 2012-03-05